La guerre à Gaza.
Je n’en ai pas encore parlé, mais il faut que j’en parle. Il y a beaucoup à dire, et en même temps j’ai l’impression que c’est vain.
Je suis arrivé à Jérusalem le 25 en soirée, j’ai laissé mon sac chez un ami et je suis allé passer le reste de la soirée tardive dans la vieille ville endormie, sous la petite pluie et la bruine froides. Le 25 au soir, près de minuit, il n’y avait presque personne dans la vieille ville de Jérusalem, juste les rues et les murs de pierre blanche de couleur un peu jaunâtre avec l’éclairage. [Photos] L’église du Saint Sépulcre était vide sauf pour une poignée de pèlerins/touristes, comme moi, quelques soeurs, quelques moines, et quelques autres habillés en tenue de carnaval qui faisaient des choses qui devaient avoir du sens pour eux.
Mais c’était bien d’avoir la grande (et étrange de son ramanchement architectural de diverses époques et traditions) église silencieuse, noire et vide, presque pour moi seul.
36 heures plus tard, le surlendemain, la guerre commençait à Gaza.
Je ne l’ai su que le soir, après avoir eu une bonne discussion avec un ami israélien sur la situation du conflit Israélo-palestinien (ou juif-arabe comme ils l’appellent là), pendant laquelle j’essayais de montrer un peu la vision que l’on voit (ou que je vois) de l’extérieur d’Israël.
Vu de l’extérieur, Israël est le méchant, l’oppresseur. Vu de l’intérieur, la majorité des Israéliens sont d’avis que ce sont eux les victimes et qu’ils doivent se défendre. “The land of victims” (la terre des victimes), comme une amie (israélienne) m’a dit.
C’est incroyable comment des gens peuvent vivre dans des “mondes” complètement différents alors qu’ils sont à peine à quelques dizaines/centaines de kilomètres les uns des autres. C’est incroyable et ça donne mal au coeur, ça donne envie de vomir…
Il y a en plus toute la rhétorique qu’on peut inventer pour justifier la guerre, pour justifier d’aller tuer ou détruire (ailleurs que chez soi, évidemment).
J’ai beaucoup d’amis israéliens, de très proches amis. Ce sont des gens formidables, et le peuple israélien est un bon peuple, sympathique, bon allant, accueillant, lorsqu’on les connaît un peu et qu’on passe par dessus la rudesse ou la rugosité première. “It’s not rudeness, it’s sincerity”, qu’un ami m’a dit. (Autrement dit, si un chauffeur d’autobus se fout que tu ne saches pas où est l’arrêt, il ne se fera pas une façade de politesse comme c’est le cas dans beaucoup de pays occidentaux. Ayant dit cela, les chauffeurs d’autobus en Israël sont généralement bien aidants, du moins aux voyageurs en sac à dos avec la barbe pas rasée depuis un bon 2 mois comme moi.)
Je fais une distinction énorme entre les Israéliens et le gouvernement d’Israël, entre les personnes humaines et les actions et politiques des grandes institutions.
Même si ils sont du “bon” côté (ne serait-ce le “bon côté” que parce qu’ils ne reçoivent pas les bombes sur la tête), les Israéliens souffrent, et la guerre actuelle ne fait pas grand chose pour améliorer leur situation, peut-être simplement laisser échapper un peu de pression interne.
Je ne voudrais pas être Israélien aujourd’hui, et je plains mes amis des stigmates (de honte, de culpabilité, de peur) que leur pays imprègne sur eux, un peu de la même façon que les Allemands, même la jeune génération, portent un lourd fardeau historique – un fardeau, pour Israël ou pour l’Allemagne, que personne ne devrait avoir à porter.
Mes amis sont généralement plus “de gauche”, évidemment, venant presque tous d’un milieu prônant des choses telles que l’ouverture, la tolérance, les vues alternatives, la méditation, la spiritualité, le respect de l’environnement et de la personne, etc., où les gens sont peut-être un peu plus ouverts ou “conscients” que “la moyenne”, mettons. D’un milieu où les gens essaient de voir plus loin que le bout de leur nez, et de ne pas toujours suivre toutes ses impulsions mais plutôt, souvent, essayer d’en trouver la source, la vraie cause.
Et ça fait mal, une guerre comme ça, à eux et à tout le monde. Ça fait mal pour les gens tués, pour ceux blessés ou restants, surtout, et ça fait mal pour le futur.
Je suis allé avec une amie à un groupe de partage de Juifs et Arabes (comme ils disent cela là-bas) à Tel Aviv, 3 ou 4 jours après le début de la guerre. C’est un groupe qui s’était formé il y a 2 ans, après la guerre au Liban, pour partager ce que chacun vivait, et qui a continué depuis. Étaient présents des Israéliens juifs et des Israéliens arabes (20% de la population israélienne est arabe – étonnant pour beaucoup, n’est-ce pas? -, et pas facile pour ces Israélien arabes non plus, souvent citoyens de deuxième classe, toujours ciblés pour des questions et interrogations qui ne prétendent même plus être aléatoires). Chacun parlait, à tour de rôle, et les autres écoutaient. Ils se connaissent depuis longtemps, se font confiance, parlaient librement et ouvertement de leur désespoir, de leur honte, de leur tristesse, de la différence presque hypocrite entre les nouvelles de la télévision israélienne et des nouvelles à la télévision arabe, de la mère à Gaza qui avait 9 petites filles au matin et n’en avait que 4 rendu le soir, du fait que (selon l’avis de certains) il fallait agir à Gaza, qu’ils n’avaient “pas le choix”, du fait que (de l’accord d’à peu près tous) ça ne réglera rien, de ce que bien des gens ne veulent pas voir, des conséquences, de ce qui pourrait être fait par ce petit groupe, etc…
C’étaient tous des gens de classe moyenne, bien éduqués, entre 35 et 60 ans, je dirais.
Donc, oui, de l’intérieur d’Israël il y en a qui travaillent pour la paix, pour la compréhension mutuelle, pour la création de liens. Il y en a beaucoup, mais ce n’est pas toujours suffisant.
La paix n’est pas pour demain. La plupart des Israéliens n’ont aucune confiance dans les Palestiniens et n’apportent aucune crédibilité à un quelconque processus de paix. Pas difficile de croire non plus que la plupart des Palestiniens n’ont aucune confiance dans les Israéliens (qui pourrait avoir confiance, en ce moment?) ou dans un quelconque processus de paix.
Israël est un véritable état d’apartheid (envers les “Arabes”), en ce moment. Et ceux qui critiquent trop ou contestent mettent souvent en danger leur carrière ou se voient simplement refuser l’accès au pays s’ils sont de l’extérieur.
Les pays Occidentaux osent à peine critiquer l’état d’Israël. Dès qu’il y a la moindre ombre de critique, on (Israël) crie à l’antisémitisme. Une vraie Sainte Nitouche, et qui se croit, en plus.
Il y a dans la psyché collective israélienne la pernicieuse impression, à peine consciente pour la majorité des gens, que “le monde [l'humanité] est contre eux“. Que c’est “eux envers le reste de la planète“. Regardant le monde par cette lentille, la moindre critique contre Israël devient une “preuve” supplémentaire que le monde est effectivement contre eux.
Ils sont bons pour jouer les victimes, en Israël…
Je regardais il y a quelques temps un documentaire (My Terroristorist) sur le large sujet d’Israël et on y relatait comment un haut placé de l’IDF (l’armée israélienne) prétendait que, lorsque l’armée tuait un enfant palestinien, ça nuisait à Israël.
Même en tuant des enfants, il y en a qui trouvent le moyen de se placer comme les victimes…
C’est frustrant, cette situation (ce conflit, ces injustices criantes, flagrantes, sanglantes d’hypocrisie), et de voir qu’il n’y a pas de résolution à l’horizon, mais seulement encore plus de chaos, de violence, de souffrance, d’injustices, d’atrocités…
“There must be another way. I really don’t know how, but there must be another way.” (“Il doit y avoir une autre façon. Je ne sais pas comment, mais il doit y avoir une autre façon.”) a terminé Zohar, une amie Israélienne précieuse, en complétant un bref tour de la situation en Israël et en Palestine à un groupe d’amis alors que nous discutions ensemble à Lucknow, en Inde. (J’écris “a terminé Zohar” mais elle n’a pas vraiment “terminé”. Elle avait plutôt cessé de parler, laissant le silence, le vide, la douleur, là, présents.)
Israël est tellement un beau pays. Les gens là-bas, en général, sont de bonnes personnes, chaleureuses, accueillantes. Un petit groupe, une grande famille.
En Israël, par hasard, j’ai rencontré une amie, Amélia, d’Angleterre, dans une soirée à une ferme alternative. Je ne savais pas qui j’allais rencontrer mais je m’attendais à rencontrer quelqu’un que je connaissais à l’improviste. Ce fut Amélia.
Et puis en Inde, j’ai rencontré à nouveau une femme, amie d’un ami, que nous avions ramassé pour aller à cette ferme en voiture ce soir-là.
Je me suis rendu compte dans les semaines suivant mon départ d’Israël à quel point la guerre à Gaza m’avait affecté. J’en faisais des cauchemars, lorsque j’étais là-bas. Mais je ne le remarquais pas trop sur le moment, dans l’ambiance de tension invisible qui imprégnait tout.
Pour paraphraser les vieilles annonces du Club Med:
“Une semaine en Israël. Imaginez une vie…”
Ça fait mal, une guerre comme ça, à eux et à tout le monde.
L’histoire d’Israël, le conflit israélo-palestinien ou Juif-Arabe, n’est malheureusement pas terminée..